Anthologie
OEUVRES MONUMENTALES DE LA COLLECTION
Arsenal art contemporain Montréal rassemble, sous l’étiquette Anthologie, une sélection d’œuvres monumentales. Cet aspect de grandeur est perceptible non seulement dans leur format, imposant, mais aussi dans les propos qu’elles tiennent et dans la manière dont ces propos sont illustrés : démesure de notre époque actuelle, accumulation et répétition à l’infini. Faire l'anthologie de phénomènes actuels est forcément une démarche contemporaine, c’est-à-dire décalée et visionnaire. En porte-à-faux, l’art contemporain adopte un regard en biais sur la société dans laquelle il prend forme, tout en faisant partie de cette société.
L’œuvre Antiquarian Sleeping in his Shop (2017), de l’artiste canadien Rodney Graham, est la clef de voûte de la présente exposition. La pratique de l’antiquaire incarne à merveille le défi et les enjeux liés à l’exposition collective. Le brocanteur collige et agence les unes aux côtés des autres ses précieuses trouvailles. Méthodiquement orchestrés et disposés, les artéfacts, quoique hétéroclites, s’harmonisent entre eux. Avec le fait de collecter, vient le plaisir de conserver, intact et à l’abri, un patrimoine culturel. Actif depuis les années 1970, l’artiste multidisciplinaire Rodney Graham se met lui-même en scène dans ses films et ses photographies. Ses œuvres, narratives, multiplient les références à la littérature et à la philosophie.
La pratique du jeune artiste Korakrit Arunanondchai, bien qu’actuelle, découle de traditions thaïlandaises – du bouddhisme et de l’animisme, entre autres. Originaire de Bangkok, il détient une maîtrise en arts visuels de l’Université de Columbia, New York. Son travail intègre les enjeux et les réalités sociales, politiques et économiques de la Thaïlande. Sont ici présentées deux toiles, aux dimensions colossales, composées d’enceintes commerciales, de vêtements de denim et d’impressions flamboyantes. Elles réunissent des biens de consommation, que l’artiste dénature et transforme, en les recouvrant de multiples couches de peinture et en les irradiant aux UV. La présence de la dorure rappelle par ailleurs les temples de son pays natal. Quatre chaises de massage Osaki font face aux toiles. Clin d’oeil au traditionnel massage thaïlandais, elles plongent le spectateur dans une étrange posture – entre confort et inquiétude.
Media Markt (2016) d’Andreas Gursky offre une vue surprenante d’un magasin, en élévation, où l’on voit se succéder tous les rayons et les étalages. L’image est saturée de détails. Sur les étagères blanches, les objets colorés se démarquent. La répétition et l’abondance des produits, méticuleusement ordonnés, procurent un certain vertige. L’artiste allemand voue une fascination pour les grandes surfaces – supermarchés, entrepôts, bibliothèques, marchés boursiers – qu’il photographie à distance et en vue d’ensemble. Sa pratique relève de l’observation empirique de la société qui l’entoure. Par leur composition et la répétition, ses photographies tendent vers l’abstraction.
Gold (2017) de David Spriggs évoque le fronton de la Bourse de New York. Seulement, dans un geste presque ostentatoire, celui-ci est inversé. Cherchant à ébranler la gloire du capitalisme, l’artiste canadien illustre la précarité de ce système. L’œuvre représente notamment les inégalités grandissantes au sein de la pyramide des richesses mondiales et leur concentration excessive entre les mains d’un groupe restreint. On remarque que les personnages de l’œuvre semblent subalternes, à l’écart ou carrément exclus de la composition dans laquelle ils prennent place. Telle est la relation de plusieurs avec l’économie d’aujourd’hui.
Maskull Lasserre détourne l’usage d’objets familiers, les rendant inutilisables, obsolètes. Parfois, il les creuse et les évide pour en montrer leur squelette, les transforme en des formes anthropomorphiques. Alors qu’à d’autres occasions, ses sculptures, hybrides, combinent entre elles des objets antagonistes, tels le manche d’un violon et le couteau d’un boucher. La nostalgie, le hasard et le macabre introduisent de l’étrangeté dans le familier et provoquent de l’incertitude dans le convenu. Ici, l’artiste livre une version contemporaine et industrielle de la Pietà, cette scène biblique représentant le corps du Christ mort, descendu de la croix, étendu dans les bras de la Vierge Marie douloureuse. Seulement, Maskull Lasserre remplace la Vierge Marie par un chariot élévateur et ce qui devrait être le corps du Christ nu est recouvert d’un drap fait de fonte rouillée. L’œuvre évoque le passage du temps.
Les œuvres de l’artiste mexicain Damián Ortega oscillent entre équilibre et précarité. Dans Harvest (2013) flottent dans l’espace les lettres de l’alphabet. De manière sémiologique, l’œuvre d’Ortega porte sur la notion de langage comme outil. Elle rappelle que le symbole n’a de sens que celui qu’on lui a attribué arbitrairement, par convention. C’est ainsi que le sens de l’objet sculptural en tant que tel, abstrait, n’est saisissable et lisible que par la projection de son ombre portée au sol. L’artiste a tordu en diverses formes de l’acier d’armature, normalement employé pour le coulage de béton armé. Suspendu par des fils de métal, le matériau, très lourd, semble délesté de ses qualités habituelles. Cette proposition singulière, voire paradoxale, insuffle une impression de légèreté à l’acier, donnant l’illusion d’une structure vaporeuse, aérienne. Dans sa pratique, Ortega se plaît à présenter de manière inusitée des objets industriels, tels l’éclatement des pièces d’une voiture ou l’atomisation d’outils de menuiserie.