ARSENAL MONTRÉAL ET ELEKTRA : PIVOT DE LA CRÉATION NUMÉRIQUE INTERNATIONALE

Présentée par Elektra, l’exposition MUTATION de la 6e Biennale internationale d’art numérique (BIAN), qui a lieu dans les vastes salles de Arsenal art contemporain Montréal du 1er décembre 2022 au 5 février 2023, aborde les enjeux des changements sociétaux nécessaires à la suite des événements vécus récemment sur notre planète.

Mutation est un terme extrêmement évocateur en ces années de crise sanitaire mondiale. Certes, la pandémie nous a fait réaliser à quel point la vie microscopique peut perturber notre environnement de manière spectaculaire. Or, cette mutation est également perceptible dans bien d’autres sphères de notre société : l’intelligence artificielle, la robotique, l’industrie du divertissement, l’environnement, la géopolitique, les rapports sociaux, les croyances ou encore l’expression artistique.

Dans cette grande exposition entièrement dédiée à l’art contemporain numérique, 27 artistes provenant de quatre continents (Europe, Asie, Afrique et Amérique) traitent du sujet dans 26 œuvres à travers la métamorphose, la mobilité des êtres humains, des idées et des identités.

Copacabana Machine Sex, Bill Vorn © C.Pomerleau, GRIDSPACE

Une expérience participative

Chaque œuvre de l’exposition a un lien avec la thématique MUTATION et est ancrée à ce que nous vivons actuellement. Les associations faites entre les pièces ne se limitent pas à celles du commissaire, et leur aspect narratif reste ouvert à toute personne qui visite cette exposition : chacun peut en tirer sa propre histoire, faire ses propres liens. L’architecture de Arsenal, avec sa vaste salle de béton et d’acier, est un atout car elle n’impose pas un trajet spécifique au visiteur.

Après un accueil plutôt singulier avec Blowback, œuvre du Montréalais Michel de Broin constituée de deux canons militaires reliés par un tube métallique, notre attention est tout de suite happée par cette Mercedes et cette Cadillac en processus de collision. Puis, libre à nous de déambuler à notre guise dans l’espace et de faire l’expérience des installations ludiques interactives, du cabaret robotique, des œuvres 3D, du musée virtuel, des robes motorisées, des sculptures insolites, des portraits humanoïdes et autres vidéos qui parsèment la salle d’exposition.

Avec les indices qui leurs sont donnés, les visiteurs font ainsi leur propre lecture de l’exposition conçue comme une composition musicale à multiples interprétations. Sa compréhension est ensuite laissée à son imagination, ce qui en fait une expérience participative.

La BIAN 6, sous le commissariat d’Alain Thibault, offre de manière audacieuse une expérience ludique et philosophique sur le monde qui nous entoure. Bien que les œuvres favorisent la réflexion à de nombreux égards, jeu et émotions sont parties prenantes de cette convaincante exposition.

Blowback, Michel de Broin & Slow-Motion Car Crash, Jonathan Schipper © C.Pomerleau, GRIDSPACE

Cette alliance entre l’art contemporain et celui du monde numérique est inévitable. Elle est même en plein essor puisque son développement va de pair avec la démocratisation des technologies. À vrai dire, encore trop peu d’expositions nous proposent un tel mutualisme entre les deux mondes. Tantôt la pièce exposée est une installation digitale, tantôt c’est un outil numérique qui se trouve à la source de l’œuvre visuelle.

La pièce autour de laquelle s’est construite l’exposition est la monumentale installation évolutive Slow Motion Car Crash, de l’Américain Jonathan Schipper. Celle-ci est une simulation physique d’une collision frontale entre deux voitures réelles. Chaque véhicule se déplace d’un mètre vers l’autre, à raison d’environ un millimètre par heure, et ce, pendant deux mois d’exposition. Le fracas est inéluctable. Bien entendu, l’œuvre fait référence au rapport que nous entretenons avec la voiture. Or, il peut également référer au déclin de l’automobile à essence et aux conséquences de l’utilisation de cette technologie du passé sur l’environnement.

Twisted Dump Truck, notamment, est une autre œuvre époustouflante. Cette sculpture de l’artiste belge Wim Delvoye est faite d’acier inoxydable nickelé, découpé au laser. Au préalable, la structure architecturale de cet intrigant camion à l’esthétique gothique a été conçue avec l’aide d’un logiciel d’ordinateur.

Grâce à sa fraîcheur et son côté engageant, tout le monde trouve son compte dans l’exposition, même les enfants. À cet égard, mentionnons deux œuvres particulièrement prisées du public, Résonances de Louis-Philippe Rondeau et Bilateral Time Slicer de l’artiste montréalais de réputation internationale Rafael Lozano-Hemmer.

Résonances est une métaphore sur le temps qui défile. Grâce à un dispositif de captation intégré à l’œuvre, les gens s’amusent à inventer leur propre ligne temporelle en ajoutant leurs gestes à ceux laissés par les visiteurs précédents. De nombreuses minutes de plaisir sont garanties à chorégraphier votre corps dans cette boucle visuelle et sonore très originale.

Quant à la seconde œuvre, une caméra capte d’abord l’image du visiteur. Grâce à un système de suivi biométrique qui trouve l’axe de symétrie verticale du corps, un ordinateur divise en direct l’image en deux tranches. Avec chaque nouveau participant, les tranches de temps sont enregistrées et mises de côté. Lorsque personne ne regarde l’œuvre, les tranches se referment et se rejoignent, créant une procession d’enregistrements passés.

The party

L’expo est une sorte de wake-up call, selon le concepteur de BIAN 6, Alain Thibault.

« The party is over. Il faut donner un sérieux coup de barre pour faire en sorte que les choses changent dans le monde. BIAN 6 est un regard sur une multitude d’aspects de la vie en société. Certains thèmes abordés par les artistes posent un regard rassurant sur notre avenir tandis que d’autres incitent à une réflexion sur notre mode de vie. De ce fait, j’ai voulu équilibrer les différents propos en offrant des œuvres avec une vision positive, mais non naïve de l’avenir, et d’autres exprimant un message plus direct, toujours avec une once d’humour ou d’ironie. »

Ainsi, quelques pièces donnent un ton plus léger à l’exposition et à sa thématique. C’est le cas de The Soft Porcelain, œuvre très «instagrammable» de l’artiste montréalaise d’origine chinoise Chun Hua Catherine Dong, représentant un ours gonflable géant dont les motifs et les couleurs rappellent la porcelaine chinoise.

Le visiteur peut même avoir une double lecture d’une œuvre. C’est le cas du cabaret robotique Copacabana Machine Sex. Cette impressionnante performance de robots dansants fait sourire et taper du pied, mais nous amène également à réfléchir sur notre rapport au monde des machines : est-ce le futur du divertissement ?

Les éclaireurs

Cette ambitieuse exposition propose aussi une réflexion sur la transition que nous devons accomplir en cette ère post-pandémique perturbée tant sur le plan géopolitique que climatique.

En posant un regard sur notre époque tout en tentant d’anticiper les conséquences de nos décisions passées et futures, les artistes de BIAN 6 sont à la fois des éclaireurs et des messagers. C’est certainement, au-delà de concevoir du beau, l’une des missions des créateurs dont les œuvres sont mises en valeur dans l’exposition.

Le mot mutation renferme de puissants symboles sociaux ; plusieurs sont d’ailleurs illustrés par les artistes qui participent à la BIAN 6. En filigrane de cette exposition, il y a aussi le rapprochement du milieu de l’art visuel contemporain et celui des technologies numériques, qui sont de plus en plus explorées par les artistes.

Jean-François Cyr

RÉSONANCES, Louis-Philippe Rondeau & Slow-Motion Car Crash, Jonathan Schipper © C.Pomerleau, GRIDSPACE