Arsenal Contemporary Art

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En conversation: Jean-François Bouchard

Par Anna Kovler

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Pendant plusieurs années, Jean-François Bouchard a réalisé un travail documentant les gens voués à être en marge de la société. Dans sa plus récente série de photographies, il pointe sa lentille sur les friands d’armes en Amérique qui se rendent au Big Sandy Machine Gun Shoot, un événement, le plus important du genre en Amérique, qui s’étale sur trois jours dans le désert de l’Arizona. Les clichés captivants de Bouchard incluent des portraits de participants avec leurs armes et les restes perforés de la profusion de cibles disponibles, entre autres des avions, voitures, conteneurs et des réservoirs de propane, certaines cibles explosant au contact des balles.

Pour son exposition In Guns We Trust à Arsenal art contemporain Montréal, Bouchard est retourné dans le désert pour rapporter de véritables objets pris pour cibles et criblés de trous, dont un grand conteneur d’expédition tellement perforé qu’il devient dentelle. À l’occasion de son exposition, je me suis entretenue avec Jean-François Bouchard pour découvrir ce qu’était son expérience dans le désert et quel message il désire envoyer par le biais de son travail.

AK: Comment avez-vous rencontré pour la première fois la sous-culture des amateurs d’armes à feu? Étaient-ils réceptifs à l’idée d’être documentés par vous?

JFB: En fait, je suis intéressé par les sous-cultures en général, alors j’ai passé un peu de temps à les explorer. La première fois que je me suis retrouvé dans un champ de tir, c’était il y a presque dix ans, alors j’avais cela en tête depuis un certain temps. Mais il y a 3-4 ans, je suis allé en Arizona et, pour la première fois, je ne savais pas comment approcher le sujet. Puis j’y suis retourné quelques fois et j’ai finalement été invité à leur événement. Pour être accepté, il a fallu passer par un processus long et difficile.

AK: Quelle atmosphère voulez-vous transmettre dans In Guns We Trust?

JFB: Ce qui m’intéressait, c’était de dépeindre la destruction qui suit ces événements de tir. J’étais dans le désert la nuit, c’était très particulier. Il y a ce mélange de beauté et de destruction et, bien sûr, le ciel de l’Arizona est spectaculaire. Mon but était de communiquer ce frisson extraordinaire, hors du commun. Alors que je parcourais le désert la nuit, il y avait un sentiment d’étrangeté.

AK: La lumière dans ces photographies est exceptionnelle. Comment avez-vous éclairé les scènes?

JFB: Je me fais souvent poser cette question! Même les photographes supposent que j’ai utilisé de l’équipement sophistiqué, mais ce n’est pas le cas. Avant de m’intéresser à l’art contemporain, je penchais davantage du côté de la photographie documentaire journalistique. Alors je travaillais avec très peu d’équipement pour être capable de flexibilité. La plupart de ces images ont été éclairées avec une lampe de poche à un dollar achetée au magasin à un dollar, l’opposé d’un équipement sophistiqué. Cela me permet d’être agile quand je travaille. Certains des véhicules étaient également éclairés de l’intérieur. Avec une lampe frontale de camping je crois.

AK: Étant donné que l’Amérique est très divisée sur l’enjeu des armes à feu en ce moment, était-il difficile de réaliser ce travail? Était-ce critiqué?

JFB: Je devais donner quelques explications à certaines personnes, mais pour moi cet effort était intéressant, parce que je sortais de mon environnement habituel et échangeais avec des gens qui ont des points de vue radicalement différents des miens. Cela n’a pas changé ma perspective sur le sujet, mais j’ai pu avoir une bien meilleure compréhension de ces personnes et de la manière dont elles ont été intégrées à cette culture. Il y avait beaucoup d’enfants présents et j’ai réalisé à quel point les gens étaient simplement élevés dans ces croyances. Plusieurs d’entre eux avaient fait partie de l’armée et avaient des membres de leur famille dans l’armée. Cela m’a fait réaliser à quel point la culture d’inspiration militaire est répandue aux États-Unis. C’est très facile en tant que libéral de rejeter ces personnes, de les qualifier de «bizarres», mais quand on creuse, on réalise qu’elles sont victimes d’une culture et d’un système de croyances qui existent aux États-Unis, et que lorsqu’on y est exposé à un très bas âge, on les conçoit comme parfaitement normaux et souhaitables. Ça a valu la peine de sortir de mon point de vue pour l’apprendre.

AK: Se retrouver au Big Sandy Shoot a dû être une expérience très bruyante. Lorsque vous représentez cela à travers la photographie, croyez-vous que cet aspect de l’expérience manque?

JFB: C’est la nature même de la photographie et de l’expérience humaine. Et je crois que cela peut être dit de n’importe quelle photographie de guerre. Je regardais justement des images du Jour J. Bien entendu, vous pouvez deviner comment c’était, mais vous ne pouvez pas le ressentir. C’est la raison pour laquelle j’ai rapporté à Montréal un conteneur d’expédition et d’autres objets qui étaient pris pour cibles. L’un de mes objectifs était précisément d’élever l’expérience sensorielle, que ce soit autre chose que de simplement regarder des photographies. Je voulais également que l’exposition ait un aspect quasi-anthropologique.

AK: Est-ce que la réaction des gens aux objets était différente de celle vis-à-vis les photographies?

JFB: Je crois que la physicalité de ces objets a rendu les réactions plus viscérales et c’était justement l’intention. Il y a quelque chose dans la photographie qui est à la fois réaliste et retiré. Alors il est certain qu’un objet physique arraché à la scène a un impact direct sur les gens.

AK: Quels sont vos prochains projets?

JFB: Je travaille sur un projet qui s’intitule présentement Escape From Babylon et j’étudie une autre sous-culture de gens qui ont embrassé les valeurs libérales au point de rejeter complètement la société. Ces personnes vivent dans des sociétés en marge, non pas pour des raisons écologiques, mais parce qu’elles ne veulent pas payer de taxes et désirent le moins de lois possible. L’une de ces communautés est basée en Californie. Elle attire des gens que je considère être des réfugiés économiques, qui ne peuvent plus de permettre de vivre dans des villes dispendieuses comme San Francisco. Ma recherche se penche maintenant sur la tension conceptuelle entre les valeurs libérales et l’effondrement économique dans une certaine classe de la société. Je trouve cette intersection extrêmement intéressante. Je passe encore plus de temps dans le désert, mais cette fois avec des gens totalement différents.

Jean-François Bouchard, Family #1, 2019, Édition de 3, Impression chromogène, 60” x 40”

Jean-François Bouchard, Container #1, 2019, Édition de 3, Impression chromogène, 60” x 40”

Jean-François Bouchard, Pick-up #1, 2019, Édition de3, Impression chromogène, 42” x 84”

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