En Conversation: Genesis Belanger
Par Anna Kovler
Genesis Belanger est en train de se faire reconnaître pour ses sculptures qui critiquent d’un ton ludique les normes visuelles illustrant les genres, le désir, le travail et la dépendance. Accompagnées de meubles et arrangées dans une installation surréelle qui rappelle les intérieurs américains du milieu du siècle, ses oeuvres en argile sont chargées de symbolisme, faisant fréquemment allusion à l’acte sexuel et la dysfonction dans ses manifestations variées et humoristiques. Belanger alimente un dialogue sur la publicité et ses mécaniques prédatrices, un avis qu’elle forme en partie suite à son embauche entre deux périodes d’études comme fabricante d’accessoires de scène commandés par des metteurs en scène pour maintes compagnies dont Victoria’s Secret, Tiffany & Co. et Chanel. Lorsqu’on considère ses sculptures, le désir cède sa place à un sentiment qui frôle la répulsion; le spectateur devient consciencieux des habitudes obstinées et bêtes distractions auxquelles il donne son temps. Par ailleurs, le monde sculptural de Belanger n’est pas ouvertement moralisateur. Il met plutôt en valeur la tendresse et la confusion qui définissent la condition humaine, intrinsèquement pleine de contradictions. J’ai discuté avec Genesis sur son processus et sur ses prochains projets.
Anna Kovler: Je trouve ton oeuvre très drôle, comment fais-tu pour inventer ces blagues visuelles?
Genesis Belanger: Normalement mon art se développe à partir de quelque chose qui me frustre, telle qu’une injustice ou quelque chose que j’ai lu dans les nouvelles, ou sur l’histoire en général. Je crois que l’humour est une superbe source de soulagement pour le stress et la frustration, c’est une sorte de valve de décharge et je trouve cela naturel de faire des blagues à propos de sujets qui me fâchent.
AK: Il y a un motif récurrent dans ton oeuvre d’objets phalliques qui devraient être rigides, mais qui sont mous (comme les cigarettes, stylos, pailles et chandelles). Je trouve ceux-ci particulièrement drôles.
GB: Ils sont certainement faits pour être comiques. Le but de ces objets est de montrer que dans l’art, 'historiquement, il existe une idée de monolithes masculins, et ce que je crée s’y oppose.
AK: Quelle sorte d’argile utilises-tu pour obtenir cette surface matte, et comment est-ce que tu crées tes plus grandes pièces?
GB: Je choisis différents corps d’argile pour leurs qualités respectives et je n'utilise pas de vernis. Le lustre souvent associé à la céramique est essentiellement du verre, mais l’argile elle-même présente naturellement un éclat subtil et une allure matte. J’arrive à obtenir une surface plane en utilisant un outil de base pour l’argile nommé un grattoir. Pour les pièces plus larges, dont les doigts allongés, je les façonne en plusieurs parties qui s'imbriquent tels des Lego; elles se fixent ensemble et peuvent être démontées telles des briques.
AK: Quels thèmes occupent ta pensée présentement?
GB: Je poursuis une trajectoire différente avec mes nouveaux projets. J’accorde présentement beaucoup d’attention aux publicités et je trouve les annonces frustrantes, lorsqu’elles exploitent notre difficulté, en tant qu’humains, à comprendre nos impulsions. Nous agissons souvent de façon réactive, sans savoir pourquoi nous tendons vers tel comportement, et nous pouvons être manipulés pour cette raison. Je crois que ce facteur inconnu nous affecte d’une façon plus intime, et je pense surtout à la tristesse. Il y a si peu de place accordée au chagrin dans notre culture. Je crois que les personnes qui éprouvent de la tristesse ne savent pas nécessairement pourquoi ils ressentent ce sentiment et trouvent difficilement du soutien pour ce qu’ils vivent. Et la tristesse ne se limite pas aux situations évidentes comme la mort. Un événement d’apparence positive comme la graduation et la fin de la scolarité ou le déménagement à un nouvel endroit peuvent susciter un sentiment de mélancolie. Je crois que c’est absurde qu’il n’y ait pas plus d’espace pour ressentir la tristesse. Il y a toute cette pression pour que les émotions soient positives et puisque nous n’avons pas créé des réseaux sociaux pour éprouver une variété d’émotions, la sensation de tristesse pourrait se manifester dans la forme de mauvaises habitudes ou de prises de pouvoir destructives.
AK: Lorsque tu crées, connais-tu d’emblée les formes physiques ou les symboles dans lesquels tes idées vont se concrétiser?
GB: Je commence habituellement mes projets en pensant à la nature de la chambre ou de l’espace auquel je veux faire allusion. Cette fois-ci, je me penche sur une pratique qui comprend les maisons grandioses en Angleterre et aux États-Unis, qui restent souvent fermées pour des saisons entières et où tous les meubles sont recouverts de couvertures protectrices blanches et étranges. C’est essentiellement un symbole de quelque chose qui est temporairement enfermé, mais qui ressemble aussi aux fantômes. Une émotion de chagrin y est palpable, ainsi que l’idée d’un arrêt temporaire du fonctionnement à 100%. Donc je considère fabriquer une chambre remplie de meubles qui ont été recouverts pour la saison avec des robes spectrales. Celles-ci formeraient les piédestaux pour les objets que je façonne, qui vont exister dans cet espace liminal mis sur pause.
L’oeuvre de Genesis Belanger a été récemment exposée au New Museum, à la Galerie Perrotin à New York et à la Galerie Mrs. à New York. Les sculptures de Belanger font présentement partie de l’exposition de groupe Réalités alternatives à Arsenal art contemporain Montréal.